Ca ne s’est bien sûr pas tout à fait déroulé ainsi. Et la vieille dame, Gaby donc, que la fatigue cloue de plus en plus souvent dans son fauteuil ressasse sa vie, s’interroge sur ces vingt premières années que la guerre lui a volées. Elle a eu somme toutes une vie heureuse avec son François malgré cette amnésie, la mémoire de ses vingt ans à jamais enfuis au bord de cette voix ferrée… Une vie de labeurs cette mais leur union a été bénie d’un fils, Gaby aurait aimé une fille ils n’ont pas eu d’autres enfants, et de jolis souvenirs de vacances au bord de la mer, mais elle se demande de plus en plus souvent quelle vie elle aurait eu sinon. Bertrand son fils qui est féru de littérature fantastique plaisante qu’il existe peut être une autre femme dans une vie parallèle qui ne s’appelle pas Gaby. En effet Gaby s’appelle Gaby à cause du petit g brodé sur son gant et parceque ne la voyant pas recouvrer la mémoire, François a proposé ce prénom : pourquoi pas Gaby ? c’est un joli prénom, et puis Gabrielle ça sonne bien français. Gaby n’a qu’un souvenir confus de la période qui a suivi. La convalescence à été longue et le médecin appelé en cachette n’a pas voulu la faire admettre à l’hôpital, trop dangereux a t-il dit.
Elle a d’abord été prise en charge par les villageois qui l’ont tour à tour cachée chez eux, ceci afin de limiter le risque d’une dénonciation. Lorsqu’elle a pu marcher, la famille de François qui l’avait plus particulièrement prise en charge s’est mise en contact avec la résistance locale pour qu’elle puisse passer en zone libre, à Marseille, le père de François connaissait Robert chez qui elle à logé, clandestinement, le temps d’avoir des faux papiers, une rue tout en hauteur pas très loin de la cathédrale que les marseillais appellent « la bonne mère », elle revoit la mer danser au bout de la rue…
Ces faux papiers qui sont devenus pour finir son identité celle avec laquelle elle a du composer toute sa vie d’après, puisqu’avant Gaby ne s’en souvient pas. Gaby n’a jamais retrouvé la mémoire et lorsqu’après la guerre et de retour auprès de François dans ce village des bords de l’Essonne devenu son univers, elle s’est rendue â l’hôtel Lutetia pour tenter de trouver des informations. Avec l’espoir qu’elle reconnaîtrait quelqu’un ou serait reconnue mais elle a vite compris que c’était une gageure. Ils sont venus dès les premiers jours de l’ouverture des camps. Les gens arrivaient parfois en fauteuil, parfois sur des brancards, quand ils marchaient c’était souvent avec difficulté tant ils étaient dénutris. Tous maigres à faire peur, ils portaient ce masque cadavérique caractéristique, celui que l’on retrouve ensuite sur les photos des livres documentant la période. La vision des déportés arrivant dans cet état de dénutrition insupportable, comme autant de spectres lui a provoqué une telle commotion qu’elle s’est trouvée mal. François qui l’accompagnait dans cette démarche a tout juste eu le temps de la prendre dans ses bras. Ils ont demandé et déposé une demande à la police mais aucun dossier ne relatait -les gendarmes accompagnant le convois ne s’étaient pas vantés bien sûr- le décès d’une jeune juive pendant le transport de ce 21 juillet 1917… Et quand Greta a eu accès, beaucoup plus tard aux longues listes des déportés du Veld’hiv: la rafle dont les dates coincidaient avec le moment où elle avait été trouvée par François, aucun nom n’a déverrouillé sa mémoire. Gaby a tourné le dos à ce passé qui la fuyait. Elle est entrée à la poste, s’est mariée avec François… La vie a passé. Ce n’est que depuis quelques années, à la retraite. Que les rêves sont arrivés. Ou revenus ?
Aujourd’hui Bertrand son fils, Christine et les deux enfants sont venus dîner. Léo a une idée maman dit Bertrand en quittant son manteau et ce n’ est pas une si mauvaise idée je crois… Il propose …. Non papa c’est mon idée c’est moi qui dit s’insurge Léo et venant tout contre sa grand mère qu’il sait un peu sourde Mémé on pourrait t’inscrire à « perdu de vue » Mémé ne voit pas ..mais si Gaby l’émission de Jacques Chancel qu’on aimait bien regarder autrefois ! Mais ça existe encore ce truc là ? Demande François ? N’importe quoi gronde Gaby il n’est pas question que je passe à la télé comme une bête de foire et puis quoi encore…
Les garçons se renfrognent un peu sous l’oeil amusé de François. Un ange passe…
Vous pourriez aussi pense tout à coup Christine à voix haute et son intervention fait sursauter Gaby partie loin dans ses pensées vous servir du petit gant noir et faire passer une annonce dans le journal !? Après tout c’est ce vous dîtes souvent que ce petit gant est la clé et effectivement lorsque que Pépé François vous a trouvée blessée sur le ballast vous n’en aviez qu’un !? Et si quelqu’un avait l’autre ?
Tout au long de ma lecture sur les chapitres des différents personnages qui forment le récit des Petits Gants Noirs, je me suis demandée comment s’était formé l’idée de l’histoire dans ton esprit ? Certaines anecdotes, sont si parlantes. C’est plus qu’une simple histoire. C’est un récit de vie(s).
Comme je te l’ai déjà dit, bravo, Cécile ! Une suite ?
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Cette enveloppe glissée sous la Porte 22 ne porte pas de nom de destinataire
Mon vélo rangé sous les boîtes-aux-lettres l’a reconnu tout de suite comme si il se l’était écrite…
Quel texte, Cécile merci.
Alain
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